Les chroniques de Nolwenn
Ce qui se passe à Vegas, reste-t-il à Vegas ?

19 février 2020

La formule est connue, mais s’applique-t-elle juridiquement ? Un mariage à Las Vegas, consacré par un sosie d’Elvis Presley, est-il un vrai mariage ? Un arrêt récent (Civ. 1 , 19 sept. 2019, FS-P+B, n° 18-19.665) nous invite à soulever la question et, au-delà, à poser celle de l’annulation d’un mariage, où fût-il célébré. Comment peut-on annuler un mariage ? Qu’est-ce qui peut invalider un échange de consentement ? Comment même estime-t-on le consentement ?

Le cas ressemble à un bon scénario d’un film américain. Un couple, marié en France en 1995, souhaite divorcer en 2012, quand le mari découvre que son épouse s’était déjà mariée en 1981, à Las Vegas, avec un autre homme. Il demande alors l’annulation de son mariage (celui de 1995), accusant sa femme de bigamie. Il est débouté.

Laissons la question de la prescription de côté, et attardons-nous sur le fait que les juges n’ont pas reconnu le mariage de Vegas comme valide. Est-ce à dire qu’un mariage à Sin City n’est pas un véritable mariage ? Évidemment, non ! Ne vous précipitez pas dans la première chapelle du Strip (le boulevard central de Las Vegas, pour les non-initiés) sans réfléchir.

« J’y consens »

Les juges de fond ont estimé qu’il n’y avait pas d’intention matrimoniale en 1981. Sur quelles bases ont-ils pu prendre une telle décision ? Dans le cas présent, aucun ban n’avait été publié, aucune démarche de transcription sur les registres de l’état civil français n’avait été effectuée à leur retour en France, et l’enfant qu’ils ont eu ensemble avait fait l’objet d’une démarche volontaire de reconnaissance auprès de l’officier d’état civil, alors qu’il aurait été déclaré comme légitime si les parents avaient été mariés (selon l’application de la présomption de paternité). Par ailleurs, après leur séparation, ils se sont mariés, chacun de leur côté, sans faire mention de cette épisode pseudo matrimonial. Pour les magistrats, ce couple se serait alors simplement « prêté à la cérémonie à Las Vegas, dans le cadre d’un séjour touristique, par simple jeu ». Les juges ont donc estimé que le mariage de 1995 ne pouvait pas être annulé du fait d’un mariage précédemment contracté, estimant qu’il n’y avait en réalité pas de mariage précédemment contracté.

Il est ici question du consentement, au sens juridique du terme. « Il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement. », dit laconiquement le code Civil (art. 146). Simplement dire « je le veux » devant un représentant ne suffit donc pas à consentir au mariage. Encore faut-il respecter quelques règles. Et lorsque l’on se marie à l’étranger, il faut satisfaire aux lois locales autant qu’aux exigences de sa nationalité. Dans le cas de notre couple, pour que ce mariage à Vegas soit reconnu, il aurait dû, avant la célébration, obtenir une licence de mariage exigé par le droit du Nevada, ainsi qu’un certificat de capacité de mariage auprès du Consulat général de France à Los Angeles. Après la cérémonie, il aurait encore fallu récupérer le certificat de mariage et le certificat d’enregistrement pour demander la transcription de leur union sur les registres de l’état civil français. Autant de démarches qui auraient donc prouvé leur consentement au mariage…

On annule et on recommence ?

Ces démarches peuvent sembler fastidieuses mais elles permettent de rappeler que le mariage est un engagement, un contrat que l’on ne peut pas signer négligemment. Par voie de conséquence, il n’est pas aisé de l’annuler par la suite. Si le divorce dissout le contrat et pose un nouveau cadre – répartition des biens, pension alimentaire, prestation compensatoire, résidence des enfants – il n’annule pas ce qui fut. L’annulation d’un mariage nécessite une action en justice devant le tribunal de grande instance. On distingue, en France, deux types de nullité : la nullité relative, qui ne peut être invoquée que par les époux, et la nullité absolue qui peut être soulevé par toute personne intéressée, des parents des mariés au procureur de la République. On parle de vice de consentement (nullité relative), notamment quand il y a tromperie sur l’identité ou la personne de l’époux. La bigamie, l’inceste, les mariages blancs ou gris sont des causes de nullité absolue. Quoi qu’il en soit, même s’il est tentant de croire que « ce qui se passe à Vegas reste à Vegas », évitez de vous dire oui devant le sosie de qui que ce soit, encouragé par l’adrénaline du jeu et la Margarita, vous pourriez le regretter.

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