Les chroniques de Nolwenn
L’apport de la négociation raisonnée dans la gestion d’un conflit, par Sylvie Adijes

23 janvier 2018

Rencontre avec…

Pour satisfaire à notre engagement de conseil auprès de nos clients, nous collaborons avec des professionnels dont le travail nous permet d’enrichir et de faire évoluer notre pratique. Avec cette nouvelle rubrique, nous vous proposons d’aller à la rencontre de certains d’entre eux.

Sylvie Adijes a été avocate au Barreau de Paris, spécialisée en contentieux, pendant 18 ans. Elle s’est peu à peu tournée vers les modes de règlements alternatifs des conflits tels que la médiation, la négociation raisonnée, et le droit collaboratif. Elle est aujourd’hui consultante et formatrice en négociation raisonnée, gestion des conflits et médiation.

Vous avez quitté la robe pour devenir médiatrice et formatrice à la négociation raisonnée. Qu’est-ce qui a motivé ce changement professionnel ?

Dans les années 90, les modes amiables n’étaient pas du tout reconnus. On peut dire qu’ils étaient même décriés. Le décret sur la médiation civile et commerciale n’était pas encore édité. Mais je me suis retrouvée à un moment de ma carrière dans un conflit personnel : J’étais en souffrance éthique parce que j’avais l’impression de devoir me positionner « contre l’adversaire » plutôt que « pour mes clients ». Cette nuance peut paraître anecdotique mais elle est fondamentale. Lorsque l’on fait du contentieux, on nous apprend à mener un combat et j’étais désireuse de régler des conflits. C’est ainsi que je me suis d’abord intéressée à la médiation. Dans les premiers temps, je faisais de la médiation bénévole presque « en cachette » des cabinets où j’exerçais. Je suis devenue officiellement médiatrice en 1995, puis formatrice en 2000 et j’ai totalement cessé d’exercer en tant qu’avocat en 2005.

Les avocats se forment-ils de plus en plus à la négociation raisonnée ? Pensez-vous que ce soit la marque d’une évolution importante de la justice ?

Il y a une vraie évolution dans le monde juridique, comme dans les autres métiers. Cela correspond à une évolution sociétale : face aux tensions et difficultés de notre temps, les gens sont en quête : on entend de plus en plus parler de méditation de pleine conscience, les gens pratiquent le yoga, de « feel good movies » ou « feel good books »…

Pour les avocats, les choses bougent surtout depuis la transposition de la directive européenne de 2008 sur la médiation (16 novembre 2011) et la loi Taubira sur la justice du XXIe siècle, du 18 novembre 2016. Le droit de la famille est peut-être le domaine le plus concerné pour le moment, mais heureusement il n’est pas le seul !

Qu’est-ce que la négociation raisonnée peut apporter à un avocat ?

Les avocats qui se forment à la négociation raisonnée viennent chercher pour les uns un outil efficace, une méthode de négociation qui a fait ses preuves, pour d’autres une nouvelle approche de leur métier, un nouvel équilibre personnel dans leur manière d’exercer. Cela pouvant être cumulatif bien sûr. Dans les deux cas, le résultat est le même : ils ressortent mieux à même de défendre leurs clients et de négocier dans l’intérêt de chaque partie. C’est un outil extrêmement puissant, qui oblige à prendre l’autre en compte.

Le décret de mars 2015 impose à tous les avocats d’avoir tenté un mode amiable avant d’assigner en justice. Donc, les avocats qui ne se mettent pas aux modes amiables laissent passer le train et risquent de devenir très vite « has been ». Outre la négociation raisonnée, il y a la médiation ou encore le droit collaboratif. Les processus sont différents, mais l’intention est la même. La négociation raisonnée est une méthode que l’on peut utiliser même si le confrère n’a pas été formé au droit collaboratif. Dans la médiation, l’avocat est un accompagnant, c’est le médiateur qui œuvre. Enfin, en droit collaboratif, les deux avocats sont formés et passent un contrat qui stipule que s’ils n’arrivent pas à trouver un accord amiable, ils se désisteront et ne défendront pas leurs clients dans une procédure contentieuse.

Dans une précédente chronique, nous avons parlé de la notion d’altérité, de la nécessité de prendre en compte l’autre et ses besoins. La médiation et la négociation raisonnée prennent-elles aussi en compte l’autre. Pourquoi est-ce si important ?

C’est essentiel. La notion d’altérité est certainement ce qui fait la grande différence entre la négociation raisonnée et la négociation traditionnelle. On va penser l’autre, non plus en opposant nos points forts à ses points faibles pour trouver où et comment « frapper fort », mais en intégrant ses préoccupations, ses valeurs, ses besoins, etc. On commence par dissocier la personne de l’objet de la négociation pour ensuite chercher avec sincérité à comprendre l’autre : comment il voit le monde, comment il se raconte l’histoire… Il faut intégrer les préoccupations de tout le monde, y compris au besoin, des avocats, car ce n’est pas la même chose si c’est un jeune collaborateur qui veut faire ses preuves ou un avocat sûr de lui.

Cette approche est tout sauf naïve : elle est efficace. La négociation raisonnée vient des américains qui sont des gens extrêmement pragmatiques. Ils s’en sont servis pour des guerres en Amérique du Sud ou en Israël (au Sinaï). Et l’expérience le prouve : la négociation raisonnée permet de réduire le temps des discussions de 2/3 et les accords pris sont plus pérennes, puisqu’ils sont fondés sur le choix et la responsabilité de chacun. Au final, on passe d’une négociation distributive à une négociation intégrative : on élargit le gâteau avant de le couper pour avoir des parts plus grosses et/ou différentes. Les résultats peuvent être très loin de ce que l’on imagine. C’est une négociation créative.

Pour aller plus loin : http://www.interstices-mediation.com/

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Le droit de la famille autrement

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